Réalisations textes




 
Texte de François Wehrbach



Sa vie s’est arrêtée là, en baie de Somme.



         Au loin ce ne sont plus les canons, ni la mitrailleuse que nous pouvons entendre, mais toutes les églises qui carillonnent la fin d’une guerre monstrueuse.

         Lui, cet homme modeste, ébéniste du Faubourg Saint Antoine, Lucien, fils de communard, qui aimait sa ville, sa rue, son atelier où une douzaine de compagnons ébénistes comme lui travaillaient les essences de bois rares pour une clientèle difficile et aisée, avait laissé son univers et avait été incorporé en mai 1916. A son départ, son père l’avait rassuré « Ne t’en fais pas Lucien, nous nous occuperons de tout avec Louise, nous continuerons de faire tourner ton atelier, Louise et ton fils ne manqueront de rien. ».

         Lucien avait vécu toute son enfance dans l’échoppe paternelle située au 1 rue de Turenne. C’était là qu’il avait appris à aimer le bois, à travailler finement l’ébène et l’ivoire, qu’il avait manipulé ses premières gouges. Enfant son père avait remarqué son agilité, la précision de ses gestes et ses qualités manuelles ; rapidement il était devenu expert dans les assemblages de précision. Afin de parfaire sa formation ses parents l’avaient laissé partir pour un tour de France, il resta absent 5 ans. Après toutes ces étapes et épreuves, il tailla son chef-d’œuvre à Reims et revint compagnon, heureux de porter le joint, il réintégra l’atelier paternel. Les tables de jeu n’étant plus trop demandées par une clientèle oisive, il délaissa le métier de tabletier de son père et choisit la marqueterie, la fabrique et la restauration de meubles.
         Pour sa vingtième année, il fit son service militaire, ainsi pour la seconde fois il dut partir du Faubourg. Après 3 années de service sous les drapeaux dans la région de Verdun, il revint sur Paris.

         Le 14 juillet 1910, durant le bal qui se tenait Place aux Juifs, il remarqua une jeune blanchisseuse de la Place d’Aligre, Louise. Ils virevoltèrent toute la soirée, l’un et l’autre se racontèrent leurs jeunes années parisiennes. A l’hiver ils se marièrent. Fin janvier 1911, dans leur appartement situé au-dessus de son atelier elle lui annonça qu’ils allaient avoir un enfant pour l’automne.

         Le 26 octobre est né leur garçon, désormais la vie de toute la famille s’organiserait autour de ce nouveau venu, parents et grands-parents se relayeraient pour s’occuper de lui. Cette période de vie dans le Faubourg était prospère, il y avait du travail pour tous, rapidement l’ébénisterie embaucha des compagnons du tour, de même fratrie, tous étaient unis. Une première année passa, puis une deuxième. Le jeune enfant passait maintenant des heures dans l’atelier à jouer avec quelques morceaux de bois et jouets rudimentaires que les compagnons lui fabriquaient. Il devint le bonheur de ses grands-parents, il représentait l’intégration parfaite dans ce pays qui avait accueillit en 1804 leur ancêtre, le premier Metzger, tonnelier allemand qui avait quitté le Wurtenberg et avait choisi de venir sur cette terre représentant la liberté, l’égalité et la fraternité. Ce tonnelier n’était pas arrivé par hasard dans ce quartier parisien, il avait choisi sciemment ce lieu proche du symbole de la royauté pris par le peuple. Là l’intégration par son métier avait brisé toutes les barrières, y compris celle de la langue, rien ne l’avait arrêté, les compagnons charpentiers, tonneliers, ébénistes, tous parlaient le même langage, tous avaient l’amour du bois. Maintenant plus de cent ans avaient passé, et ce jeune enfant prendrait le relais de cette réussite.

         L’implantation dans le Faubourg était très importante et très forte pour chaque génération. Tous inculquaient à leurs enfants le respect des classes ouvrières, le respect du bel ouvrage réalisé. A chaque période trouble, les uns et les autres avaient pris position pour les classes laborieuses et s’étaient ainsi enracinés dans ce Faubourg, dans ce pays qui était devenu le leur, leur terre. En 1870 la famille n’avait pas hésité l’ombre d’un instant, les hommes avaient délaissé leurs ateliers pour défendre leur Paris, ce Paris où les Prussiens voulaient défiler. Puis après le siège prussien, ils prirent parti pour la Commune de Paris. Cette nouvelle révolte donnait la parole à tous, hommes et femmes, aux plus humbles, elle représentait la suite logique de la révolution de 1789, qui avait attiré leur ancêtre.

         Au début du 20ème siècle, l’industrie prit une large place dans cette société moderne ; toutefois les petits ateliers des maîtres ouvriers se développèrent et prospérèrent de plus belle. Les révolutions, les révoltes ouvrières n’avaient en aucun cas mis un coup d’arrêt total aux privilèges. Bourgeois, industriels, banquiers étaient toujours aussi nombreux à vouloir meubler leurs demeures. Heureusement, il existait des mécènes, des amateurs avertis qui reconnaissaient la place du bel ouvrage. Ainsi à la veille de la première guerre, l’atelier faisait vivre une quinzaine de compagnons, et autant d’apprentis.

         1914, le choc, l’angoisse.
         Bien que la fleur soit piquée dans les canons des fusils, les premières classes de jeunes hommes durent partir, cette guerre serait courte…
Dans le Faubourg, l’on pouvait voir un grand nombre de pantalons garance remplaçant les bleus de travail. De l’atelier partit une dizaine d’ouvriers. Lucien Metzger voyait ses employés, ses compagnons partir défendre leur terre, sa patrie.

         Les jours passèrent, de toute évidence les soldats ne seraient pas de retour dans leurs foyers, près de leurs compagnes et derrière leurs établis avant bien longtemps. Dans les journaux de la République l’on pouvait lire les faits d’armes, d’héroïsme, moments et instants de gloires éphémères ; mais en dernière page de L’illustration se trouvaient les listes des disparus à jamais. Jours après jour, les morts pour la France prenaient les visages d’hommes que l’on avait connus, fréquentés, avec qui l’on avait bu l’absinthe sur le zinc du comptoir d’un bougnat de la rue de Lappe ou du Faubourg. Maintenant nous nous installions dans une routine de vie d’angoisse pour les êtres que nous connaissions, routine d’une guerre longue, trop longue, où le mort, l’estropié était un homme que nous connaissions, un ami, un proche, un compagnon d’atelier de cette fratrie où régnait cette union sacrée pour le travail bien fait, pour la réalisation du bel ouvrage. Ainsi sur la douzaine d’ouvriers sous les drapeaux, 5 étaient maintenant disparus à jamais dans les boues de l’Est où du Nord de la France.

         Un conseil de famille comprenant ses parents, son épouse Louise, tous les compagnons, les apprentis et leurs femmes, s’était tenu. Ensemble ils décidèrent de prendre en charge les familles, les femmes et enfants des disparus en s’organisant en communauté. Louise reprit son métier de blanchisseuse avec des compagnes, des femmes, des veuves de ces hommes absents. D’autres s’occupèrent de l’alimentation, des enfants, etc…
Lucien eut ainsi la sensation d’être utile, de ne pas laisser tomber sa fratrie, mais cette nouvelle situation de vie au sein de l’atelier ne le satisfaisait pas encore. Ce qui lui était insupportable c’était d’être pris pour un de ces embusqués parisiens que l’on pouvait croiser sur les trottoirs des Grands Boulevards, au bras de demoiselles de bonnes familles. Pour ses compagnons montés au front, ne revenant que trop rarement chez eux, amaigris, les yeux hagards devant cette vie parisienne du Faubourg, qui n’avait guère changé, croiser un de ces embusqués était insoutenable ; quelle insouciance que cette vie parisienne ! Là, à Paris, pas de fusil, pas de baïonnette ballotant à leur hanche. Ils revenaient, de passage dans une vie qui n’était plus la leur, ne pouvant pas décrire l’intégralité de ce qu’ils avaient vu, vécu dans les tranchées inondées, à patauger au milieu des chairs humaines disloquées par le métal en fusion après des bombardements interminables. Ils revenaient dans ce qui avait été leur monde, mais qui ne leur ressemblait plus à l’heure actuelle.

         Louise comprenait les longs moments de silence qui emplissaient les journées de Lucien. Un soir de mai 1916, elle le rejoignit dans son atelier, et bien qu’elle tremblât d’inquiétude, elle lui dit de partir. Partir vers cet inconnu, vers cette mort possible. Elle sentait le besoin de perpétrer l’engagement qu’avaient eu les ancêtres de Lucien. Cet engagement de protéger cet idéal de Liberté, d’Egalité, de Fraternité. Et pourtant durant ces jours noirs comme les nuits sans étoile, rouges comme le sang de ces hommes déchiquetés, tous partaient se privant de liberté, d’égalité et ne parlons pas de la fraternité exprimée à coups de canon, de mitraille et baïonnettes. Lucien la regarda, là, dans l’entrebâillement de la porte, il avait les mains dans la sciure douce, d’où montait une odeur délicate d’essence de bois tropical. Plus que jamais, à cet instant précis, ils mesurèrent leur amour réciproque. Ils savaient qu’ils seraient séparés de longs mois, de trop longs mois. Dans le Faubourg Louise parviendrait à vivre avec la fratrie restante, leur enfant continuerait à grandir, inconscient, insouciant, dans cet univers de labeur et entouré de l’amour de sa mère et de ses grands-parents. Par la suite, à son tour, il serait le porteur de cette fraternité. Là, à 4 ans, il dormait dans son lit d’enfant encombré de jouets en bois, au matin son père serait déjà loin.

         1916 ; 1917 ; 1918,
         Les années passèrent, des années de guerre bien trop longues, bien plus longues que des années de paix, comme c’est curieux cette élasticité du temps ! Lucien n’était que trop rarement revenu, peu de permissions, trop d’attaques, de tirs de barrage, de sapes, de camarades d’infortunes déchiquetés, pulvérisés, broyés, lui toujours vivant avait été couvert de leur sang. Comment arriverait-il à revivre dans son Faubourg après tant et trop d’horreurs, avec le temps il était sûr d’y parvenir à nouveau, mais à quel prix, avec quelles souffrances… Les extrémités de ses bras n’étaient plus les gouges les plus fines avec lesquelles il travaillait, creusait, ciselait bois et ivoire ; depuis 2 ans et demi ses mains ne se terminaient que par des grenades, des fusils, lui qui, dans la vie civile, redonnait la vie à ce bois sensuel une fois travaillé finement, jour et nuit il ne portait que la mort. Durant cette période, son réconfort passait par les lettres qui lui parvenaient de manière régulière. Elles lui apportaient les visions, les images du Faubourg Saint Antoine. Louise lui faisait prendre part à la vie de la fratrie restant encore au 1 rue de Turenne. Elle glissait parfois de la sciure sans dire de quelle essence de bois il s’agissait. Il sentait ces envois précieux, ce parfum délicat et futile avec un mélange de nostalgie et un grand plaisir. Dans d’autres lettres, Louise glissait des mèches de cheveux ou parfois des photographies. Pour le 26 octobre 1918, accompagnée des parents de Lucien, elle avait emmené leur enfant dans le studio Nadar pour un portrait en pied. Elle aimait tellement ce portrait où leur enfant posait majestueux, avec une canne et un chapeau, devant un décor évoquant une clairière, leur fils paraissait adulte, responsable ; l’on pouvait reconnaitre les yeux de son père, la forme du visage de son grand-père. Après réflexion, elle songeait commander un tableau à un peintre du Faubourg, et questionnait Lucien pour savoir ce qu’il en pensait.

         Lucien était heureux de voir à quel point leur petit avait grandi, il semblait avoir de belles mains pour travailler le bois, quel bonheur de détenir cette photographie, qui lui permettrait de s’évader de cette boue, de fuir cette fange dans laquelle il pataugeait depuis bien trop longtemps. Cette photo il la portait toujours sur lui, la regardait de temps à autre durant les accalmies.
         En ce matin glacial du 11 novembre 1918, il avait en tête cette rumeur qui circulait depuis quelques semaines, « les Allemands étaient à bout ». Comment était-il possible que les Allemands soient plus épuisés que les Français ?
         Et pourtant la fin était proche…
         Fin de cette saloperie de boucherie, fin de cette putain de guerre, qui pouvait y croire ? Tous ici l’espéraient vivement depuis bien longtemps cette nouvelle, les Allemands se trouvaient à environ 2km, ils devaient eux aussi attendre de pouvoir rentrer dans leurs foyers, Allemands, Français, Canadiens, Anglais, Américains, tous l’espéraient vivement.

         11 novembre 1918 - 5h30.
         Ce matin un télégramme était arrivé, ça y est : ce jour à 5h l’Allemagne avait capitulé et signé l’armistice. « Fin des hostilités 6h plus tard ». A 11h, ce 11 novembre la guerre était terminée. Lucien avait lu ce télégramme, son lieutenant, un Parisien comme lui, instituteur rue de la Roquette, la lui avait montré et confirmé. C’était bien vrai, la fin était pour aujourd’hui…. Quel gâchis monstrueux, 4 années de boucherie sauvage qui auront servi à engraisser les marchands de canons de tous bords… Cette nouvelle, il avait bien des difficultés à l’assimiler. Durant toute la guerre, au fil des jours, il avait acquis des réflexes de survie, des réflexes de chasseur. Les bruits et vacarmes des bombardements, des attaques, étaient devenus son quotidien. Comment serait-il possible de croire en la fin de ce cauchemar ?

         11 novembre 1918 - 10h59.
         Lucien était là, hébété, debout sur le parapet, face au bled, il scrutait l’horizon, les Allemands n’étaient visiblement pas en position d’attaque. Ils se trouvaient bien loin, tout était calme.
         Comme par réflexe afin de l’aider pour son retour proche dans son atelier, à la maison, dans son Faubourg, il prit en main la petite photographie envoyée par Louise, c’est vrai qu’il était beau son garçon, Lucien était heureux de le regarder. Il songeait à son arrivée, à l’instant où il franchirait le pas de porte de l’atelier, à l’odeur des colles, des machines, aux bruits des hommes travaillant. A cet instant il verrait Louise et leur fils dans un rayon de lumière empli de fine poussière.

         11 novembre - 11h.
         C’est la fin, bientôt de retour dans la vie civile, il regarde la photo comme si cela était irréel.

         11 novembre - 11h00mn03s.
         Lucien s’effondre.
         Une abeille sifflante, une balle de Mauser, lui arracha la moitié de la tête, foudroyé sur le coup, il s’effondra dans la boue.
         Sa main tenait toujours la petite photo, bien visible à la lumière du soleil de la Somme.
         Lucien venait de mourir en temps de paix.
         Tué par une balle tirée en temps de guerre.
         Pour cet homme qui n’était plus un soldat de guerre, pas d’honneur éphémère, pas de médaille.
         Et puis cela importait peu, il aurait refusé avec violence toute cette mascarade qui accompagnait ces pseudos décorations remises à la chaîne.
Il s’était engagé pour défendre cette terre et non pour en obtenir une quelconque récompense ; il était venu pour défendre son idéal.
         Maintenant, il gisait là, dans la terre de ce pays qu’il avait tant aimé.
         Si Augustin Trébuchon, mort 10mn avant lui, était le dernier mort de cette guerre, un parmi les 9 millions, lui, Lucien, n’aurait aucune reconnaissance, il était un mort anonyme en temps de paix.

         Eté 2011, Noirmoutier.
         Cette histoire, je l’ai découverte dans une très vieille enveloppe en papier gris achetée quelques euros sur un vide-grenier. Elle contenait ce texte manuscrit, et en bas de la dernière page une inscription : « Firmin, nettoyeur de tranchées 05 décembre 1918 ».
         Avec les pages manuscrites, une seconde enveloppe, plus petite, jaunie, encore cachetée. Je l’ai ouverte, elle contenait une petite photographie, en voici la description : un très vieil homme, accoudé le long d’une barrière, il s’appuyait sur un tronc d’arbre où se trouvaient un chapeau et une canne, le tout était visiblement un décor.
         Curieusement l’homme portait un costume ressemblant à un costume d’enfant, ce qui me marqua le plus était son short.

François Wehrbach

Le 11 juillet 2011
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Texte de Martine Foy, avec la participation de Olivier Foy, Monique et Claude Cadore


Pastel N° 12 en jaune



Je suis l’ange bleu cher à ma mère
Ma vie est rose comme une guimauve
Je suis si sucré qu’on me mangerait
Je fais fondre ceux qui me regardent
Je fonds moi-même au soleil familial
Petit Narcisse blanc
Je me noie dans le regard paternel
Je lève les yeux au ciel
Pour qu’on voie le bleu de mes yeux
Petit garçon nanti, je porte la culotte des riches
Ma marinière est celle des petits enfants heureux
Je suis l’héritier tant attendu, le petit prodige
Un peintre doit m’immortaliser, me pastelliser
Rien n’est trop beau pour moi
C’EST EUX QUI ME L’ONT DIT

Je suis le juif errant, je n’ai plus rien
Même pas la canne de mon grand-père pour soutenir mes pas
Je n’ai plus du pastel que le jaune
Safran, souffrant, ma bonne étoile m’a quitté
Ils me l’ont épinglé sur le corps
Je ne suis plus l’ange bleu de ma mère
Mais un adulte émacié, sans couleurs
Je repense aux douces rayures de mon enfance
Mon enfance tendre comme un gâteau au miel
Mes rayures sont noires aujourd’hui de désespoir
Elles me strient à Dachau et pénètrent mon corps meurtri
Mes yeux bleus ne m’ont pas protégé
Oh ! mère, ne regarde pas ce qu’ils ont fait de ton ange blond
Garde les yeux sur le pastel de mon enfance.

*  *  *  *  *  *

Pastel N° 12 en rouge



Fils de bourgeois tout bleu j’étais
Révolutionnaire rouge je suis devenu
J’étais un enfant narcissique et gâté
Maintenant je suis un homme à l’idéal communiste
J’étais un prince dont on faisait le portrait
Je suis l’homme qui détrône les rois.

J’étais cet enfant –médaillon adulé de tous
Je les ai rejetés, eux, et leurs valeurs rétrogrades
J’étais l’enfant qui levait les yeux au ciel
A qui on apprenait Marie, Jésus et les anges
Pour moi, maintenant Dieu est mort
Staline est mon seul guide
J’ai abandonné le sabre et le goupillon
Pour la faucille et le marteau et …
L’étoile rouge .


Martine Foy - Olivier Foy - Monique Cadore - Claude Cadore



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Sur l’œuvre de Halinka Mondselewski, texte de C. Collodi.





« Grimpe sur mes épaules et serre-moi bien fort.
Je m’occupe du reste. »

Dès que Geppetto se fut solidement juché sur ses épaules,
Pinocchio très sûr de lui, se jeta à l’eau et se mit à nager.
La mer était unie comme de l’huile.
La lune brillait de tout son éclat et
le requin dormait d’un sommeil si profond
qu’un coup de canon ne l’aurait pas réveillé.

C.Collodi  'Les aventures de Pinocchio'

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Texte de Anne Guet





Pose absurde,

Violente et absurde.

Il prend la pose et n’ose pas avoir d’âge,

Et n’ose pas refuser de prendre la pose,

Il se vengera plus tard, il aura le choix,

Le chapeau et la canne,

Le chapeau ou la baguette,

Il regardera au-delà, il ne les verra pas,

Il les méprisera

Mais en attendant

Jouons le jeu, faisons comme si,

Mais cette pose grise n’est pas de son âge.



Tout est fermé.



Où se tiendra l’ami,

L’ami

Sans costume,

Sans parapluie,

Et sans chapeau,

Il n’est pas encore là,



Méfie-toi,

Je ne regarde rien


Je prends la pose.

Anne Guet



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Texte de Dominique Hebert






Sens pour sang
Est-ce toi ? … Quoi ?
Le toit de mon moi… Pouah!
Dans ton regard… Gare!
Je me vois hagard… Geignard ?
Petit garçon abandonné… Pied d’nez
M’as-tu pardonné ? … Poil au néné
Il est loin le temps des regrets … Bon gré…
Sur cette photo je suis comme dépossédé… Malgré...
De cette joie qui aurait pu être la mienne… La tienne ?
Ce ne fut que désordre et amours anciennes… Hyaine
Est-ce toi ? … Moi ?
Le fou du moi… Toi ?
Dans ton coeur qui mord…  Foie de porc
Je bois  de vilains remords… Cors à corps
J’ai perdu le fils de mon histoire... ça foire…

Dominique Hebert



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Texte de Francine Mayran





La trace de l’absent ou la chaine de la descendance

Un enfant…..un chapeau, une canne……. la trace de l’absent.

« La chaine n'a pas été rompue,
La chaine continue,
Des parents aux enfants,
Du père au fils.
Et la chaîne ne sera jamais rompue. La chaine continue,
Des parents aux enfants,
Du père au fils. »

                                   Janusz Korszak


Un visage sur béton tel un nom sur une stèle.
Un visage de descendant qui renvoie à l’absent.
Des chiffres mécaniquement inscrits, traces visibles de la barbarie.
Des numéros matricules qui gravent la mémoire.
Un enfant descendant, habité par l’absent, plein de manques, de silences, de non dits.
Un passé jamais clos, qui ressurgit… un impossible oubli qui pénètre le présent…. et qui imprègne l’avenir.



Francine Mayran

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Textes de Halinka Mondselewski

 Petit tombeau marin

C’est la fin de l’enfance, de l’insouciance mêlée aux larmes.
Petit enclos humide, espace suspendu, lieu et départ d’une nouvelle naissance. 




Eau douce, eau salée, oh ! enfance

Voilà Pinocchio, notre petit menteur, notre enfance secouée, rêvée, tendre et malmenée.
Voici tous les possibles :
Pinocchio sauvant son papa de la gueule du requin,
demandant à se faire pardonner. De quoi ? D’avoir été un enfant.




S’enfuir, s’enfouir

Une jeune femme habillée en marin.
A travers cette photo j’ai découvert la vie d’Isabelle Eberhardt,
l’amoureuse passionnée du Sahara,
l’écrivain vagabond qui, en 1904, à l’âge de 27 ans,
mourra noyée par la crue de l’oued Sefra, à Aïn Sefra, en Algérie, au milieu du désert.
Sa mort paradoxale, ce mélange de sable et d’eau,
ce costume marin, comme prémonitoire de son destin, m’ont beaucoup interrogée.




Halinka Mondselewski

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Texte de Noé Beaucardet







ELSEWHERE

"Let feel the breeze
tinglin' down my bones
and smell the ocean shattering my lungs
while I'm heading to another haven
not to meet you
I suppose
Goodbye heat
I'm going North.

Feels like Berlin
smells like Carthagene
at the back of the ship
looking into the deep
I need some meat for the when the nights get cold
as you said
I've been told
Where did you go?
I don't
know.
Am I
bound to freeze alone?
Am I
gonna find you there?
Am I
able to love again?
when I'm gone in the coldness
in the blue and mellow mood
may my heart
freeze by northern lights
and not shiver anymore...
I'll be gone
long gone
in the coldness"



Noé Beaucardet

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Texte de Diane Diane Shenouda



La blondeur 
impeccable
trop 
pour toi mon jeune garçon
tu es si petit encore
mais si sérieux déjà
pourquoi poses tu comme cela comme un grand monsieur ?
un vieux monsieur presque 
un jeune paon 
pas froid aux yeux
tu me regardes droit dans les yeux 
de tes yeux d‘enfant clair 
la tête légèrement penchée
mais plein de froideur déjà
ton regard me glace 
ou m’attriste ton regard triste aussi 
les yeux clairs
la blondeur impeccable
cheveux lisses
la raie sur le côté
que cache ton visage immaculé
jeune faon 
quelle peine secrète  quelle volonté  quel désir quel appel quelle supplique 
quelles joies quels tourments quels serments quels secrets
quelles ombres et quelles lumières
cache ton regard fier 
du haut de tes 4, 5 ans 
à qui donc est cette canne, ce chapeau ?
tu es si petit encore 
mais si sérieux déjà
engoncé dans ta jolie marinière 
qu’on imagine bleue et blanche sur la photo sépia difficile de savoir
jambes croisées 
une main dans la poche de ton bermudas 
une autre qui s’agrippe  à la pierre 
petites mains potelées qui trahissent ton jeune âge 
mais l’allure pourtant est celle d’un homme 
d’un grand d’un vieux monsieur presque 
d’un jeune paon 
mais à qui donc est cette canne  ce chapeau  
et qui donc t’a volé ton innocence ton enfance ?
ah mais c’est vrai fallait bien ça pour te tirer le portrait 
pour te voler ton âme !
l’infame !
les traces du temps qui passe ont brouillé l’image 
mais elles ont épargné ton visage d’enfant qui me regardent droit dans les yeux 
même pas froid aux yeux !
et où est donc l’autre portrait ?
dans quel autre grenier la toile du peintre ?
et toi où es tu ? qui es tu ?


Diane Shenouda

 

 

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Marie Cordié Levy  - Collage de

Cécile Tarrière



Crée pour le projet Pastel 12 de François Wehrbach visant à reconstituer une famille imaginaire autour de la photographie d’un jeune garçon inconnu, le collage de Cécile Tarrière est fidèle à la vérité ontologique de la photographie, l’écriture de la trace.

S’inscrivant dans un format carré, ce collage se compose de trois éléments: à gauche, le carton d’invitation d’une exposition de Zoran Music reproduisant The Dancing Leper, ( Le pestiféré qui danse), une oeuvre au crayon que le peintre fit lors de sa déportation à Dachau en 1944; en léger contrebas, contre le bord gauche, la photographie découpée du jeune inconnu du Pastel 12; et à droite, un peu décalée, une bande de cinq morceaux de photographies déchirées et agencées les unes au dessus des autres où l’on distingue des arbres, une pelouse, avec en haut le visage de deux petites filles en chapeau.

Les archives photographiques familiales sont souvent entreposées dans des boîtes à chaussures. François Wehrbach a sauvé de la disparition celle du jeune garçon avant qu’elle ne finisse mangée par l’humidité d’un grenier dans l’Hérault. Cécile Tarrière a sauvé ces morceaux de photographies d’une destruction volontaire et violente en les rapportant chez elle après les avoir découvert épars sur le tapis d’une maison abandonnée. Mais l’analogie de ces deux sauvetages visuels s’arrête là.

Quel rapport Cécile Tarrière établit-elle dans ce collage entre ces quatre personnages, le Pestiféré qui danse, les deux jeunes filles et le jeune garçon à première vue rassemblés de façon aléatoire? En regardant de plus près, nous pouvons déceler les liens ténus qui les font exister ensemble: les visages du jeune garçon, des deux jeunes filles et de l’homme de Z. Music sont tous dirigés dans la même direction, une des mains du jeune garçon et de l’homme se replie sur le côté du corps de la même manière et les petites filles et le jeune garçon de trois quart face ont le même col marin. Ces infimes connections gestuelles ou vestimentaires sont les liens qui donne au collage son sens. Infimes gouttes de colle, ces signes qui traversent le temps disent le peut-être d’un lien familial: le jeune garçon est peut être l’homme dessiné par Z. Music 20 ans plus tard, il a le même geste que lui, le même regard attentif que les petites filles qui pourraient être ses soeurs.

Mais la déchirure des photographies, la séparation droite et marquée entre le carton de Z.Music et le puzzle photographique à droite disent aussi l’inverse: l’impossible souvenir, l’impossible connection et la force insondable de l’oubli qui comme la ligne blanche verticale sépare les êtres, éradique la mémoire et fait disparaître à jamais l’espoir d’un vécu ensemble.

Sur le côté droit de l’oeuvre, les morceaux du puzzle photographique avec ses arbres, ses pelouses et ses forêts placés en miroir ou en verticale disent le désordre, le basculement, la perte de sens sous le regard observateur et lointain des deux petites. Placés en vis à vis du carton de Z. Music, ils dirigent la pensée vers les forêts de bouleaux des camps de concentration.

Alors le col marin prend un sens nouveau. Devenu le dernier signe du paradis perdu avant la destruction, il est l’innocence avant la barbarie. Et ce vers quoi les quatre personnages dirigent leurs regards, c’est ce hors champ que l’artiste ne veut représenter ni nommer.

En sauvant ces bribes photographiques et en les intégrant à ce collage, Cecile Tarrière leur redonne sens et suggère en creux que la violence de ces déchirures est le signe implacable de ces vies condamnées. Cette oeuvre subtile qui n’aurait pu voir le jour sans l’imaginaire généreux de François Wehrbach remonte le chemin solitaire du temps et questionne avec lucidité les traces de ce qui reste de nos identités après.



Paris, 21 septembre 2012

Marie Cordié Levy